
Editeur : Seuil
Publication : Aout 2008
Pages : 316
Quelle lecture, cette traversée du Mozambique par temps calme !
Un véritable roman d’aventures aussi improbable que surprenant. Tout est parti du titre. Pourquoi ce titre ? Pour deux raisons : d’une part, j’ai cru comprendre que l’auteur aurait aimé avoir écrit un livre qui s’appelle comme cela ; d’autre part, moi lecteur, j’avais toujours eu envie de lire un livre qui s’appelle comme cela. Même si le sujet du livre n’a rien à voir avec son titre...
L’histoire, enfin… les aventures
La Traversée du Mozambique par temps calme est une quête menée par le capitaine Belalcazar à la recherche du fameux trésor de Païtiti dans la forêt tropicale du Pérou. Un navire est affrété, l’équipage trié sur le volet (Hug-Gluq et Negook, les deux frères d’une tribu indienne d’Alaska, Florence Malebosse une mystérieuse navigatrice, Fontaine la cuisinière du bord amoureuse du capitaine). Les aventures se succèdent sur les mers, sur la glace lorsque le navire se prend dans la banquise, dans la forêt tropicale. Patrice Pluyette entraîne le lecteur tour à tour dans un univers de pirates ou d’aventures maritime à la Poe (Les aventures d’Arthur Gordon Pym), de chasseurs de phoques ou d’ours à la Gretel Ehrlich (Ce paradis de glace) ou Jean Malaurie (Les derniers rois de Thulé), d’amazonien réducteurs de têtes à la Lévi-Strauss (Tristes tropiques).
L’ensemble est décrit avec un humour ravageur, une ironie omniprésente. Inévitablement, le roman me fait penser à Don Quichotte, avec cette vanité dans la recherche d’un trésor - le bonheur -, en dépit des obstacles et autres embûches que l’auteur s’amuse à mettre dans les pattes de ses personnages.
La raison d’être du roman
Il me semble que le passage essentiel de ce livre réside dans ce court passage, qui me fait penser au meilleur de Buzzati dans Le désert des Tartares :
« Nous courons tous pour rien, pense-t-il. L’homme est comme cette flamme, toujours à vouloir monter plus haut, grandir, et à la fin s’épuise, s’éteint. La lumière du jour devrait nous suffire. La vie commence au saut du lit. Il faudrait partir en expédition autour de sa chambre, oublier le reste du monde. Les richesses amassées sont toujours plus nombreuses quand on va les chercher en nous-mêmes, tout près. Plût au ciel que je ne susse rien de l’existence de Païtiti. Ma curiosité me tuera. Je suis déjà vieux. Le temps est peut-être venu pour moi d’abandonner la partie. »
Ce chapitre 27 est certainement un tournant dans l’ouvrage.
« Nous courons tous pour rien, pense-t-il. L’homme est comme cette flamme, toujours à vouloir monter plus haut, grandir, et à la fin s’épuise, s’éteint. La lumière du jour devrait nous suffire. La vie commence au saut du lit. Il faudrait partir en expédition autour de sa chambre, oublier le reste du monde. Les richesses amassées sont toujours plus nombreuses quand on va les chercher en nous-mêmes, tout près. Plût au ciel que je ne susse rien de l’existence de Païtiti. Ma curiosité me tuera. Je suis déjà vieux. Le temps est peut-être venu pour moi d’abandonner la partie. »
Ce chapitre 27 est certainement un tournant dans l’ouvrage.
Comme les personnages, le lecteur subit les aventures proposées par Pluyette et se laisse porter par ces flots continus de péripéties, de jeux de mots, de références, de parenthèses comiques, d’allusions freudo-sexuelles (les apparitions de Sophie dans la deuxième moitié du roman), de clins d’œil.
Et que dire de la structure de l’ouvrage, découpée en quatre parties (« Où nous découvrons les personnages et l’existence de Païtiti », « Le voyage en mer », « Le grand froid », « Dans la jungle » et « Païtiti »), elles-mêmes composées de courts chapitres dont le nom dévoile ce qui va arriver. Exception faite pour la dernière partie à Païtiti, où le suspens bat son plein.
L’auteur aime dévoiler par avance les prochaines aventures (il annonce par exemple les réapparitions de Sophie, la disparition de Hug-Gluq, etc…) pour tenir le lecteur en haleine, et aussi pour s’amuser avec lui. Les personnages n’étant que des pantins (et cet aspect me fait penser à l’excellent film de Spike Jonze « Dans la peau de John Malkovitch »), après tout, pourquoi s’embarrasser de ces pantins et les traîner un peu partout dans l’histoire alors qu’on peut les faire apparaître et disparaître à son grès !
L’auteur aime dévoiler par avance les prochaines aventures (il annonce par exemple les réapparitions de Sophie, la disparition de Hug-Gluq, etc…) pour tenir le lecteur en haleine, et aussi pour s’amuser avec lui. Les personnages n’étant que des pantins (et cet aspect me fait penser à l’excellent film de Spike Jonze « Dans la peau de John Malkovitch »), après tout, pourquoi s’embarrasser de ces pantins et les traîner un peu partout dans l’histoire alors qu’on peut les faire apparaître et disparaître à son grès !
Au final !
Le livre est d’une grande richesse. Patrice Pluyette a mis tout son talent pour concocter un objet littéraire agréable à lire, le sourire au coin des lèvres. Je pense sincèrement que l’auteur est passé très près, très très près d’un chef-d’œuvre. Pourquoi très très près ? Pour moi, et la définition de chef-d’œuvre est définitivement subjective – personne ne pourra me faire croire qu’Exercices de styles est un chef-d’œuvre quand bien même je reconnaîtrais une grande quantité de virtuosité et que les commentaires sur cette œuvre sont très justement élogieux -, le chef-d’œuvre n’était pas loin car Patrice Pluyette a su mettre tous les ingrédients attendus dans un roman, une histoire avec des péripéties (nombreuses), des personnages avec une psychologie suffisamment détaillée pour qu’on s’y attache (même si les personnages sont mis en lumière les uns après les autres, certains plus que d’autres, au détriment des autres qui disparaissent parfois du récit), de la tension dramatique dont je ne saurais trop m’expliquer d’où elle vient (j’ai encore des progrès à faire dans ma compréhension des œuvres), des allusions subtiles, un style si particulier qu’il en devient original, une histoire elle-même plutôt classique car c’est son traitement qui la rend singulière.
Les points négatifs, non, ne parlons pas de points négatifs, mais d’axes d’amélioration, sont probablement donc au nombre de deux :
1. la gestion des personnages assez inégale dans le récit, mais à chaque fois qu’ils sont détaillés, ils viennent immédiatement à l’esprit comme s’ils existaient depuis toujours au fond de nous-mêmes ;
2. le patchwork d’aventures / péripéties, qui s’interrompent parfois subitement au grès de l’amusement de l’auteur : je sens très bien qu’une fois que l’auteur en a eu assez d’une situation, ne sachant pas trop comment s’en sortir, il utilise un joker, une sorte de deus ex machina pour dénouer une situation inextricable (merci Sophie), et parfois, l’auteur s’en amuse même, en montrant qu’il peut le faire, mais se reprend, et n’utilise pas son joker finalement (passage de la glace à la forêt tropicale par un tunnel sous terre).
De là à recommander le livre, je ne sais pas trop. A mon avis, il ne laisse pas indifférent et il est tout aussi facile d'adorer que de détester. Si vous êtes curieux, n'hésitez pas à le lire, c'est un régal.
1. la gestion des personnages assez inégale dans le récit, mais à chaque fois qu’ils sont détaillés, ils viennent immédiatement à l’esprit comme s’ils existaient depuis toujours au fond de nous-mêmes ;
2. le patchwork d’aventures / péripéties, qui s’interrompent parfois subitement au grès de l’amusement de l’auteur : je sens très bien qu’une fois que l’auteur en a eu assez d’une situation, ne sachant pas trop comment s’en sortir, il utilise un joker, une sorte de deus ex machina pour dénouer une situation inextricable (merci Sophie), et parfois, l’auteur s’en amuse même, en montrant qu’il peut le faire, mais se reprend, et n’utilise pas son joker finalement (passage de la glace à la forêt tropicale par un tunnel sous terre).
De là à recommander le livre, je ne sais pas trop. A mon avis, il ne laisse pas indifférent et il est tout aussi facile d'adorer que de détester. Si vous êtes curieux, n'hésitez pas à le lire, c'est un régal.
Quelques notes éparses
Ci-dessous quelques notes relevées pendant la lecture du roman et qui témoigne de la richesse de l’ouvrage.
Le navire se prénomme Catherine comme l’amour impossible de Belalcazar envers une femme qui n’aime que les femmes.
Les références aux Aventure d’Arthur Gordon Pym sont nombreuses :
« […] nos deux types embarquent clandestinement à bord d’un cargo pour l’Europe, couchés sur le flanc dans une cage de la dernière soute, déguisés en barzoïs. »
« Son pied se prend dans un cordage et il reste suspendu jusqu’au matin, le menton effleurant les ailerons des requins prêts à charger, mais il est sauvé à temps par l’équipage hilare d’un bateau de commerce qui fait route vers Nantucket. »
« […] nous savons la réputation des voiliers sortis des rives de la Clyde […] »
« Kycash, désigné à la courte paille pour découper Jean-Philippe en six parties égales, va user de ses ongles à défaut d’un autre outil sous la main pour charcuter la viande. »
Le navire se prénomme Catherine comme l’amour impossible de Belalcazar envers une femme qui n’aime que les femmes.
Les références aux Aventure d’Arthur Gordon Pym sont nombreuses :
« […] nos deux types embarquent clandestinement à bord d’un cargo pour l’Europe, couchés sur le flanc dans une cage de la dernière soute, déguisés en barzoïs. »
« Son pied se prend dans un cordage et il reste suspendu jusqu’au matin, le menton effleurant les ailerons des requins prêts à charger, mais il est sauvé à temps par l’équipage hilare d’un bateau de commerce qui fait route vers Nantucket. »
« […] nous savons la réputation des voiliers sortis des rives de la Clyde […] »
« Kycash, désigné à la courte paille pour découper Jean-Philippe en six parties égales, va user de ses ongles à défaut d’un autre outil sous la main pour charcuter la viande. »