Editeur : Gallimard
Publication : Février 2007
Pages : 349
L'année de la Russie
Certainement une coïncidence, car ce livre était dans ma PAL depuis l'été 2009, cette année est l'année de la Russie (pour la France) et la roman de Marc Dugain évoque succinctement l'histoire de la Russie au XXème siècle. Tout commence avec un personnage surprenant - nous n'avons pas l'habitude de le rencontrer en littérature -, Joseph Staline, occupant la première partie du roman.
On y découvre ainsi la figure d'un être ambivalent, à la fois faussement sympathique, faussement cruel, tyrannique mais très "petit père du peuple", quasiment caricaturale. L'aspect caricatural est notamment accentué par le style de l'auteur qui abuse des monologues ou tirades, parfois étouffantes, souvent irréalistes. Pas de place au dialogue dans toute la première partie du roman : chaque personnage s'écoute parler à tour de rôle. Au théâtre c'est une chose ; dans un roman, c'est gênant. Je n'avais pas du tout ressenti cela dans La chambre des officiers du même auteur. La rencontre avec Staline est pour moi le plus mauvais passage du roman.
Par la suite, cela devient plus intéressant. La vie berlinoise de Vladimir Poutine, jeune loup du KGB, testé par sa hiérarchie, victime d'une machination (le passage à l'Ouest d'une belle allemande chef d'une entreprise d'informatique) afin de prouver que lui, Plotov, est incorruptible.
Une troisième partie évoque les négociations de l'administration russe avec un père de famille, Pavel : en échange du silence de l'homme, l'Etat propose une forte somme d'argent et une retraite anticipée à St Petersbourg. Sur cette petite fresque familiale, une journaliste français vient enquêter sur le drame de l'Oskar, le sous-marin qui a sombré mystérieusement par cent mètres de fond, alors qu'une vingtaine de marins étaient encore en vie et frappait à la coque du submersible.
Cette partie, au coeur du roman, est pour moi la plus intéressante de l'intrigue et sans aucun doute la mieux construite par Dugain, aussi bien du point de vue du développement que du style. La psychologie de Pavel Altman, qui a perdu son fils Vania dans la tragédie centrale, dont la femme a perdu la mémoire à court terme et vit, plus ou moins léthargique, dans leur appartement du fin fond de la Sibérie, et que sa fille Anna accuse de rechercher le plaisir charnel avec leur voisine au moment où il devrait porter le deuil, la psychologie de Pavel, donc, est particulièrement attachante. Il symbolise à lui seul la décadence de tout le pays. Il est désabusé et sans espoir. La citation suivante du narrateur en dit long sur son état :
« Ce matin-là, je n'avais envie de rien savoir de plus sur le naufrage de l'Oskar. J'aurais voulu même pouvoir oublier cette défaite humaine qui s'ajoutait à une liste forte de milliers d'exemples où les entreprises dont nous avons depuis longtemps perdu le sens nous entraînent dans des tragédies que nous commémorons comme autant de défaites qui ne changent rien. »
Un peu plus loin, la rencontre avec une journaliste spécialiste du Daguestan et de la Tchétchénie révèle les pires heures de l'histoire récente de la Russie. La décadence de la fédération de Russie est à l'image des personnages qui composent le roman : « Dans un pays où la vie ne vaut rien, ou la mort a longtemps été une délivrance, peut-on concevoir qu'on échange des siècles d'exercice du pouvoir dans le secret contre les vingt-trois vies d'hommes qui ont choisi le métier des armes ? Le contraire aurait été à lui seul une révolution. Et de révolution, dans ce pays, nous n'en avons jamais eu. »
Une fin tragique
Pour avoir moi-même eu l'occasion de visiter un sous-marin, je comprends mieux l'ambiance qui émane des missions dans les profondeurs de la mer, la promiscuité des sous-mariniers et la spécificité de ce corps dans la Marine. Je sais également que Marc Dugain a passé quelques jours au large de Toulon dans un sous-marin nucléaire mais pas plus d'infos : j'imagine qu'il s'agissait d'un SNA, les petits sous-marins nucléaires. C'est la classe de sous-marin qui se rapproche le plus des SSGN (Ship Submersible Guided missile Nuclear) dont fait partie de le Koursk. Car tout le monde aura compris qu'Une exécution ordinaire traite, d'une manière romancée, du naufrage du Koursk. Pour bien faire comprendre qu'il s'agit d'une fiction (le sujet est sensible, encore aujourd'hui), l'auteur a nommé le sous-marin naufragé : Oskar. Il faut également savoir que la classe Oscar est celle du K-141 Koursk. Substitution du nom à rapprocher de celle de Vladimir Poutine, renommé Vladimir Vladimirovitch Plotov dans le roman.
A ce niveau de la lecture du livre, déjà les trois-quarts des pages ont été parcourus, et le lecteur atteint le coeur de l'ouvrage, le point culminant du récit. En effet, tout ce qui a précédé dans le roman, la partie politique - le comportement froid de Plotov, son souhait de restaurer la grandeur de la Russie ; la mise en parallèle avec la chaleur du Petit Père du Peuple, pourtant tout aussi dévoué à la cause d'Etat et prêt à sacrifier quelques individus pour le bien commun ; les discussions des officiers supérieurs livrant les regards extérieurs sur le dirigeant, Staline ou Plotov -, ou la partie familiale des Altman (Anton, l'ami de Pavel ; Vania, le fils disparu), tout prend son sens dans les dernières pages du roman.
C'est à ce moment de la lecture que le talent de Marc Dugain surgit en pleine lumière. Il faut se rendre à l'évidence : le roman n'a pas été écrit furieusement en une nuit, d'une traite, au fil de la plume. Il a été construit patiemment, certains chapitres ont dû être remaniés, découpés, alternés, afin de rendre la lecture plus fluide. L'intrigue a été peaufinée, les personnages ont été triturés, les informations collectés pendant plusieurs mois ont été digérées et judicieusement distillées. Il serait intéressant d'en savoir plus sur le travail créatif du romancier.
Presque parfait, mais...
Malgré des qualités romancières indéniables - particulièrement le passage central avec les états d'âme de Pavel Altman -, Marc Dugain n'a pas réussi à complètement me captiver en peignant ces tableaux d'une Russie décadente, en prise avec les tragédies de l'Histoire. Une exécution ordinaire est certes un très bon roman, mais il lui manque, à mon goût, une certaine cohérence d'ensemble afin d'attiser l'intérêt du lecteur. La construction du roman est en quelque sorte en "entonnoir" : on tourne un peu en rond au début, dans le grand large, avant d'être propulsé vers l'étroite sortie, ce chapitre finale où tout le reste prend son sens. C'est très habile, mais il faut croire que je ne suis pas totalement réceptif à ce procédé.
La langue de Dugain est parfois géniale, mais parfois indigeste. J'ai trouvé qu'il abusait de temps à autres de phrases trop alambiquées, bien constituées, mais peu naturelles. Les dialogues, exercice ô combien difficile pour tous les romanciers, ressemblent à des monologues souvent improbables. Mais ils servent le récit.
On sent bien que ce sont les mêmes ingrédients qui dévoilent les bons et moins côtés du style de Dugain. J'ai eu l'impression que l'auteur écrivait sur le fil du rasoir et qu'il ne parvenait pas toujours à maintenir le lecteur que je suis sur ce fil à la fois trop étroit et diablement aiguisé. En terme purement physique, on pourrait dire que le roman se situe dans un équilibre instable. Ou plus approprié encore, il se place à l'immersion périscopique ! Ni complètement dans l'obscurité et le calme des profondeurs, ni parfaitement à la surface. Avec un mât en dehors et la coque immergée. Comme s'il avait touché du doigt une sorte de perfection sans l'atteindre définitivement.
Du Dugain de La chambre des officiers, j'ai néanmoins retrouvé une ambiance délicieuse de ces officiers qui affrontent la face la plus sombre de la guerre, celles des blessés, des oubliés, de ceux qui restent sur le carreau et qui perdent ce qu'ils ont de plus cher. Tout cela pour des causes, pour des politiques ou des Etats, qui n'en valent peut-être pas la peine. Peut-être pas.
Il n'en reste pas moins que j'ai aimé lire ce roman qui, malgré ces quelques imperfections qui ne deviennent évidentes que lorsqu'on sent la perfection proche, n'est pas loin d'être excellent. Marc Dugain est un auteur talentueux.
On y découvre ainsi la figure d'un être ambivalent, à la fois faussement sympathique, faussement cruel, tyrannique mais très "petit père du peuple", quasiment caricaturale. L'aspect caricatural est notamment accentué par le style de l'auteur qui abuse des monologues ou tirades, parfois étouffantes, souvent irréalistes. Pas de place au dialogue dans toute la première partie du roman : chaque personnage s'écoute parler à tour de rôle. Au théâtre c'est une chose ; dans un roman, c'est gênant. Je n'avais pas du tout ressenti cela dans La chambre des officiers du même auteur. La rencontre avec Staline est pour moi le plus mauvais passage du roman.
Par la suite, cela devient plus intéressant. La vie berlinoise de Vladimir Poutine, jeune loup du KGB, testé par sa hiérarchie, victime d'une machination (le passage à l'Ouest d'une belle allemande chef d'une entreprise d'informatique) afin de prouver que lui, Plotov, est incorruptible.
Une troisième partie évoque les négociations de l'administration russe avec un père de famille, Pavel : en échange du silence de l'homme, l'Etat propose une forte somme d'argent et une retraite anticipée à St Petersbourg. Sur cette petite fresque familiale, une journaliste français vient enquêter sur le drame de l'Oskar, le sous-marin qui a sombré mystérieusement par cent mètres de fond, alors qu'une vingtaine de marins étaient encore en vie et frappait à la coque du submersible.
Cette partie, au coeur du roman, est pour moi la plus intéressante de l'intrigue et sans aucun doute la mieux construite par Dugain, aussi bien du point de vue du développement que du style. La psychologie de Pavel Altman, qui a perdu son fils Vania dans la tragédie centrale, dont la femme a perdu la mémoire à court terme et vit, plus ou moins léthargique, dans leur appartement du fin fond de la Sibérie, et que sa fille Anna accuse de rechercher le plaisir charnel avec leur voisine au moment où il devrait porter le deuil, la psychologie de Pavel, donc, est particulièrement attachante. Il symbolise à lui seul la décadence de tout le pays. Il est désabusé et sans espoir. La citation suivante du narrateur en dit long sur son état :
« Ce matin-là, je n'avais envie de rien savoir de plus sur le naufrage de l'Oskar. J'aurais voulu même pouvoir oublier cette défaite humaine qui s'ajoutait à une liste forte de milliers d'exemples où les entreprises dont nous avons depuis longtemps perdu le sens nous entraînent dans des tragédies que nous commémorons comme autant de défaites qui ne changent rien. »
Un peu plus loin, la rencontre avec une journaliste spécialiste du Daguestan et de la Tchétchénie révèle les pires heures de l'histoire récente de la Russie. La décadence de la fédération de Russie est à l'image des personnages qui composent le roman : « Dans un pays où la vie ne vaut rien, ou la mort a longtemps été une délivrance, peut-on concevoir qu'on échange des siècles d'exercice du pouvoir dans le secret contre les vingt-trois vies d'hommes qui ont choisi le métier des armes ? Le contraire aurait été à lui seul une révolution. Et de révolution, dans ce pays, nous n'en avons jamais eu. »
Une fin tragique
Pour avoir moi-même eu l'occasion de visiter un sous-marin, je comprends mieux l'ambiance qui émane des missions dans les profondeurs de la mer, la promiscuité des sous-mariniers et la spécificité de ce corps dans la Marine. Je sais également que Marc Dugain a passé quelques jours au large de Toulon dans un sous-marin nucléaire mais pas plus d'infos : j'imagine qu'il s'agissait d'un SNA, les petits sous-marins nucléaires. C'est la classe de sous-marin qui se rapproche le plus des SSGN (Ship Submersible Guided missile Nuclear) dont fait partie de le Koursk. Car tout le monde aura compris qu'Une exécution ordinaire traite, d'une manière romancée, du naufrage du Koursk. Pour bien faire comprendre qu'il s'agit d'une fiction (le sujet est sensible, encore aujourd'hui), l'auteur a nommé le sous-marin naufragé : Oskar. Il faut également savoir que la classe Oscar est celle du K-141 Koursk. Substitution du nom à rapprocher de celle de Vladimir Poutine, renommé Vladimir Vladimirovitch Plotov dans le roman.
A ce niveau de la lecture du livre, déjà les trois-quarts des pages ont été parcourus, et le lecteur atteint le coeur de l'ouvrage, le point culminant du récit. En effet, tout ce qui a précédé dans le roman, la partie politique - le comportement froid de Plotov, son souhait de restaurer la grandeur de la Russie ; la mise en parallèle avec la chaleur du Petit Père du Peuple, pourtant tout aussi dévoué à la cause d'Etat et prêt à sacrifier quelques individus pour le bien commun ; les discussions des officiers supérieurs livrant les regards extérieurs sur le dirigeant, Staline ou Plotov -, ou la partie familiale des Altman (Anton, l'ami de Pavel ; Vania, le fils disparu), tout prend son sens dans les dernières pages du roman.
C'est à ce moment de la lecture que le talent de Marc Dugain surgit en pleine lumière. Il faut se rendre à l'évidence : le roman n'a pas été écrit furieusement en une nuit, d'une traite, au fil de la plume. Il a été construit patiemment, certains chapitres ont dû être remaniés, découpés, alternés, afin de rendre la lecture plus fluide. L'intrigue a été peaufinée, les personnages ont été triturés, les informations collectés pendant plusieurs mois ont été digérées et judicieusement distillées. Il serait intéressant d'en savoir plus sur le travail créatif du romancier.
Presque parfait, mais...
Malgré des qualités romancières indéniables - particulièrement le passage central avec les états d'âme de Pavel Altman -, Marc Dugain n'a pas réussi à complètement me captiver en peignant ces tableaux d'une Russie décadente, en prise avec les tragédies de l'Histoire. Une exécution ordinaire est certes un très bon roman, mais il lui manque, à mon goût, une certaine cohérence d'ensemble afin d'attiser l'intérêt du lecteur. La construction du roman est en quelque sorte en "entonnoir" : on tourne un peu en rond au début, dans le grand large, avant d'être propulsé vers l'étroite sortie, ce chapitre finale où tout le reste prend son sens. C'est très habile, mais il faut croire que je ne suis pas totalement réceptif à ce procédé.
La langue de Dugain est parfois géniale, mais parfois indigeste. J'ai trouvé qu'il abusait de temps à autres de phrases trop alambiquées, bien constituées, mais peu naturelles. Les dialogues, exercice ô combien difficile pour tous les romanciers, ressemblent à des monologues souvent improbables. Mais ils servent le récit.
On sent bien que ce sont les mêmes ingrédients qui dévoilent les bons et moins côtés du style de Dugain. J'ai eu l'impression que l'auteur écrivait sur le fil du rasoir et qu'il ne parvenait pas toujours à maintenir le lecteur que je suis sur ce fil à la fois trop étroit et diablement aiguisé. En terme purement physique, on pourrait dire que le roman se situe dans un équilibre instable. Ou plus approprié encore, il se place à l'immersion périscopique ! Ni complètement dans l'obscurité et le calme des profondeurs, ni parfaitement à la surface. Avec un mât en dehors et la coque immergée. Comme s'il avait touché du doigt une sorte de perfection sans l'atteindre définitivement.
Du Dugain de La chambre des officiers, j'ai néanmoins retrouvé une ambiance délicieuse de ces officiers qui affrontent la face la plus sombre de la guerre, celles des blessés, des oubliés, de ceux qui restent sur le carreau et qui perdent ce qu'ils ont de plus cher. Tout cela pour des causes, pour des politiques ou des Etats, qui n'en valent peut-être pas la peine. Peut-être pas.
Il n'en reste pas moins que j'ai aimé lire ce roman qui, malgré ces quelques imperfections qui ne deviennent évidentes que lorsqu'on sent la perfection proche, n'est pas loin d'être excellent. Marc Dugain est un auteur talentueux.