La mémoire et l'oubli
Le style dans tout cela
La dédicace du roman n'est pas anodine (« A la mémoire de mon fils bien-aimé ») et en de nombreuses occasions, Carlos Fuentes décrit à quel point le travail de mémoire est difficile. A plusieurs reprises, il exprimera le besoin de se souvenir de certaines choses et d'en oublier d'autres : « Tu chercheras un moyen de penser les choses, car tu sentiras que si tu penses tu seras obligée de te souvenir. Il y aura des choses dont tu auras envie de te souvenir, et d'autres que tu voudras ou auras besoin d'oublier. » (Chap. 3, p. 82).
Avoir besoin d'oublier quelque chose : voilà bien les souvenirs d'un vieil homme, atteint par la rudesse de l'existence, paroles de sages en quelques sortes, conseils d'un être qui a vécu et qui est touché, qui vit peut-être dans le regret, voire même dans le péché : « [...] nous n'avons d'autre salut que d'oublier nos péchés. Non pas les pardonner, les oublier. » (Chap. 3, p. 82). La dimension du péché peut sembler inappropriée ici. Fuentes évoque-t-il l'ambition dévorante des deux protagonistes, qui ont sacrifié leur amour au profit de leur carrière ? S'inquiète-t-il des péchés de l'Homme, du travail de mémoire nécessaire dans une Europe meurtrie par le nazisme ?
Nous cherchons tous à oublier que nous sommes mortels. C'est ce que rappelle Fuentes : « Notre vie est un recoin transitoire dont le sens est de faire exister la mort. Nous sommes le prétexte à la vie de la mort. La mort rend présent tout ce que nous avons oublié de la vie » (Chap. 8, p. 193). Même si personne n'a demandé à connaître ce monde-ci, « Personne n'a demandé à venir au monde, Inès » (Chap. 8, p. 193), une fois que nous y sommes, il faut bien chercher à vivre. Mais une fois que nous avons vécu, il y a des choses dont on ne souhaite pas se rappeler : « Aide-moi à cesser de penser au passé, mon amour. Quand nous vivons dans le passé, nous lui faisons prendre des proportions telles qu'il usurpe notre vie » (Chap. 8, p. 190).
Le devoir d'oubli est un mal nécessaire pour continuer à avancer. « [...] les souvenirs d'un homme et d'une femme qui se retrouvent ne sont pas les mêmes, l'un se souvient des choses que l'autre a oubliées, et vice versa, parfois on oublie parce que le souvenir fait mal et qu'il faut se persuader que ce qui est arrivé n'est jamais arrivé, on oublie le plus important parce que c'est le plus douloureux » (Chap. 5, p. 148).
Nous cherchons tous à oublier que nous sommes mortels. C'est ce que rappelle Fuentes : « Notre vie est un recoin transitoire dont le sens est de faire exister la mort. Nous sommes le prétexte à la vie de la mort. La mort rend présent tout ce que nous avons oublié de la vie » (Chap. 8, p. 193). Même si personne n'a demandé à connaître ce monde-ci, « Personne n'a demandé à venir au monde, Inès » (Chap. 8, p. 193), une fois que nous y sommes, il faut bien chercher à vivre. Mais une fois que nous avons vécu, il y a des choses dont on ne souhaite pas se rappeler : « Aide-moi à cesser de penser au passé, mon amour. Quand nous vivons dans le passé, nous lui faisons prendre des proportions telles qu'il usurpe notre vie » (Chap. 8, p. 190).
Le devoir d'oubli est un mal nécessaire pour continuer à avancer. « [...] les souvenirs d'un homme et d'une femme qui se retrouvent ne sont pas les mêmes, l'un se souvient des choses que l'autre a oubliées, et vice versa, parfois on oublie parce que le souvenir fait mal et qu'il faut se persuader que ce qui est arrivé n'est jamais arrivé, on oublie le plus important parce que c'est le plus douloureux » (Chap. 5, p. 148).
La quête essentielle de l'homme est celle du bonheur. Ce bonheur, il est très certainement présent autour de nous, mais nous ne savons pas le saisir. Il est à l'image de cet amour, cette passion, entre Gabriel et Inès. Aucun des deux n'a su le voir à temps. Aussi, est-ce pour cela que Fuentes semble désabusé : « Le bonheur est un piège passager qui nous cache les malheurs permanents et nous rend plus vulnérables que jamais à la loi aveugle du malheur » (Chap. 4, p. 110). Le bonheur nous cache les malheurs, c'est une étrange conception... Pourtant, ne disait-il pas, un peu plus tôt le contraire : « Souviens-toi de La Lettre Volée d'Edgar Poe. La meilleure façon de se cacher, c'est de se montrer. Si l'on nous cherche en pensant que nous avons disparu, on ne nous trouvera jamais à l'endroit le plus évident. » (Chap. 2, p. 47). Donc si je comprends bien, cacher les malheurs permanents derrières le bonheur éphémère est la meilleure façon de ne plus jamais les retrouver... La meilleure méthode pour oublier en définitive.
La mère et la fille
La mère et la fille
Encore un fil à exploiter, et pas le moindre : la Femme. Si j'ai évoqué l'Homme dans ce billet, il ne faut pas oublier que l'héroïne des chapitres impairs de Fuentes est la femme (dans le chapitre 1, c'est le sceau qui symbolise la féminité), avec cette histoire de retrouvaille mais également d'enfantement, comme si le cycle de la vie était là, et bien là.
Le style dans tout cela
Si Fuentes traite de thèmes profonds, et s'il fait appel à Rousseau ou Bergson, il ne faut pas s'y tromper, ce n'est pas une philosophe mais un écrivain. Et un excellent. Son style est au service de la narration, les nombreuses citations ci-dessus vous auront peut-être convaincu. Pour ma part, j'ai encore noté quelques citations qui sont des tours littéraires que j'aime particulièrement, dont un clin d'oeil au Mexique, thème de cette lecture commune :
« Si un aigle était doué de parole, il aurait ce regard. » (Chap. 4, p. 124) en évoquant Gabriel Atlan-Ferrara avec malice.
« [...] le pays des automythificateurs : Diego Rivera, Frida Kahlo, Siqueiros, maybe Pancho Villa... Un pays pauvre et dévasté exigeait peut-être un coffre plein de personnalités richissimes. Le Mexique : les mains vides de pain, mais la tête pleine de rêves. » (Chap. 4, p. 124) en évoquant Gabriel Atlan-Ferrara avec malice.