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La première nouvelle de l'Aleph de Jorge Luis Borges s'appelle L'Immortel. Cette nouvelle est parue pour la première fois dans la revue Los Anales de Buenos Aires, vol. 2, n° 12, en février 1947, sous le titre original Los Immortales.

Elle débute par une citation de Francis Bacon (petit clin d'oeil avec l'autoportrait de son homonyme ici), sur Salomon et sur Platon, qu'il conviendra d'étudier de plus près (théorie de la réminiscence de Platon).

Caché dans un des volumes de l'Iliade de Pope, un petit manuscrit est retrouvé. Il raconte l'histoire d'un tribun d'une légion romaine, Marcus Flaminius Rufus, intrigué par la Cité des Immortels contée par un cavalier mourrant venant de l'Orient. Le romain entraine une de ses troupes vers un voyage périlleux dont il ressortira unique survivant. Alors que la mort semble lui ouvrir ses bras, Marcus s'évanouit : « Insupportablement, je rêvais d'un labyrinthe net et exigu avec, au centre, une amphore que mes yeux voyaient, mais les détours étaient si compliqués et si déroutants que je savais que je mourrais avant de l'atteindre. » C'est la fin du chapitre I.

Résurrection, renaissance, accouchement

Prisonnier d'une bande d'« hommes à la peau grise, à la barbe négligée, nus », Marcus aperçoit la Cité des Immortels de l'autre côté d'un « ruisseau impur ».  Le temps s'écoule, Marcus se libère, et, rabaissé à voler ou mendiant pour manger de la chair de serpent, quitte le village, suivi par un barbare, en direction de la Cité. Cette cité lovecraftienne se révèle être un véritable labyrinthe (comme le rêve prémonitoire de la fin du premier chapitre) et absorbé dans les entrailles de cette terre grise, vit une véritable renaissance.
« J'étais passé par un labyrinthe, mais la très nette Cité des Immortels me fit frémir d'épouvante et de dégoût... Un labyrinthe est une chose faite à dessein pour confondre les hommes ; son architecture, prodigue en symétries, est orientée à cette intention. Dans les palais que j'explorai imparfaitement, l'architecture était privée d'intention. »
Marcus pense que cette Cité n'est pas vivante, et il a raison. La résurrection se produit dans son labyrinthe intérieur. A la sortie de cette période spéléologique, Marcus efface sa mémoire, suite à cet accouchement qui le propulse à la vie immortelle : « Cet oubli, aujourd'hui invincible, fut peut-être volontaire ; peut-être les circonstances de mon évasion furent-elles si pénibles que, quelque jour non moins oublié, je me jurai de les effacer de ma mémoire. » Fin du chapitre II.

Le réel et son double

Resurgit de la terre grise, Marcus se retrouve avec un des barbares de la tribu dont il avait été prisonnier, et qui l'a suivi comme « un chien, jusqu'à l'ombre irrégulière des murs. » Voilà Marcus avec son ombre, avec son double, miroir symétrique de sa propre existence, qu'il surnomme Argos, du nom du « vieux chien moribond de l'Odyssée. » L'Iliade et l'Odyssée en filigrane de cette nouvelle... Cette ombre fidèle et muette, à qui Marcus tente d'enseigner les rudiments de la civilisation, se révèle être Homère, l'auteur de l'Odysée, et un immortel. Toute la tribu de barbares était la Cité des Immortels. Fin du chapitre III.

« Etre immortel est insignifiant ; à part l'homme, il n'est rien qui ne le soit, puisque tout ignore la mort. Le divin, le terrible, l'incompréhensible, c'est de se savoir immortel. » Marcus apprend d'Homère les secrets de l'immortalité. Les deux êtres se séparent « aux portes de Tanger. » Fin du chapitre IV.

Highlander

Marcus raconte brièvement quelques évènements de son existence d'immortel, Stamford en 1066, Leipzig en 1638, Aberdeen en 1714 où les six volumes de l'Iliade de Pope sont achetés, rencontre Giambattista en 1729, Bombay en 1921. Une nouvelle odysée réalisée. Un retour en arrière. En buvant dans un ruisseau d'eau claire, Marcus redevient mortel. La fusion avec son double se parachève. Marcus est Homère, sauf lorsqu'Homère est Marcus. Et la fin. Et le symbole de ce double prend toute sa consistence avec la mort du narrateur, qui retrouve enfin son humanité :
« Quand s'approche la fin, il ne reste plus d'images du souvenir ; il ne reste plus que des mots. Il n'est pas étrange que le temps ait confondu ceux qui une fois me désignèrent avec ceux qui furent symboles du sort de l'homme qui m'accompagna tant de siècles. J'ai été Homère ; bientôt, je serai Personne, comme Ulysse ; bientôt, je serai tout le monde : je serai mort. »

Une lecture absolument magique, qu'il conviendra d'étoffer (cet article pourrait s'enrichir à l'avenir).
Tag(s) : #Littérature sud-américaine
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