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Il s'agit là, pour moi, du chef-d'oeuvre absolu de la poésie contemporaine francophone. Publié une première fois en 1946, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, Vents est sans conteste l'ouvrage de référence de Saint John Perse (Alexis Léger Léger pour les intimes) et sans aucun doute, l'ouvrage qui lui a permis de décrocher un surprenant - a priori seulement car quand on connaît les méthodes d'élection des prix Nobel, il n'y a pas vraiment de surprise à ce qu'un ancien diplomate qui entrait parfaitement dans les critères de sélection soit choisi - prix Nobel de Littérature.
Saint John Perse, s'il faut évoquer l'homme, mais cela ne sert en rien le discours poétique, il faut décorréler l'homme de son oeuvre comme on le ferait tout naturellement pour Céline ou Kafka (et si on ne le fait, il faut le faire sinon on ne peut pas comprendre l'oeuvre en tant que telle), c'est le poète dont l'incarnation dans le monde social n'est autre qu'Alexis Léger, un diplomate en vue du Quai d'Orsay (secrétaire général du ministère des Affaires Etrangères en 1933) jusqu'en 1940. Il doit alors s'exiler aux Etats-Unis où il trouve une terre d'accueil propice à la rédaction de Vents.

S'il s'attaque à l'élément de l'air, Saint John Perse est avant tout un devin. Un poète-devin, et donc visionnaire, qui livre une connaissance du monde qui n'a aucun égal, un monde à la fois érodé et figé, mais en ébullition car les vents balayent la poussière de ce monde.

Saint John Perse est un naturaliste. Il se délecte de champs lexicaux "naturels" d'une précision parfois quasi-entomologique, mais chaque mot a sa place dans le chant poétique. Car si la polysémie des vers en prose donne parfois le vertige, la musicalité, quant à elle, est précise, délicate et clairement identifiable dans cette partition vocale. Vents se lit à haute voix, s'apprend et se récite. D'abord la musique dans la bouche, comme un filet fluet de voix qui s'immisce dans l'atmosphère. Viennent par la suite les sens, successivement... Mais cela reste presque annexe. Apprécier la beauté du monde, c'est également lire les poèmes de Saint John Perse. Qui d'autre que lui transpose avec cette rigueur, cette précision, cette vision, la beauté intrinsèque de la Nature en une musicalité poétique sans précédent ? Ah, on touche ici à quelque chose d'extatique.

Mais si vous n'aimez pas lire, ce livre est fait pour vous. Pas la totalité du livre, car, si vous n'aimez pas lire, vous n'y comprendrez rien - et ne vous en voulez pas pour cela, vous ferez partie de la majorité et il y aura avec vous un grand nombre d'intellectuels par ailleurs très brillants. La poésie s'enseigne, certes, mais pour la ressentir, il faut une certaine prédisposition d'esprit... Non, si vous n'aimez pas lire, apprenez par coeur le verset 1 du chapitre I, ce qu'on appelle parfois l'incipit. Apprenez-le par coeur, et répétez-vous le, juste pour voir si vous le retenez bien. Ce n'est pas plus compliqué que d'apprendre une chanson de popstar par coeur. De toute façon, faites comme si c'était de l'anglais : si vous ne comprenez rien à ce que vous apprenez, ne vous tarauder pas l'esprit : il faut juste arriver à le prononcer correctement.
Car le but du jeu est de se le répéter. De temps à autres pour vérifier que vous le retenez bien. Et puis un jour, dans un moment particulier, par exemple vous serez à la plage, ou à la montagne, il y aura un beau paysage et même un coucher de soleil (il suffit d'attendre que le soleil se couche, parfois c'est long mais ça vaut toujours le coup), et puis quand le soleil se couche, il y a souvent cette brise crépusculaire, vous l'avez remarquée, n'est-ce pas ? Lors de ce moment très particulier, mais pas si rare que cela finalement (sortez de chez vous sinon, si vous ne regardez jamais de coucher de soleil, il faut absolument que vous éteigniez ce satané ordinateur et que vous alliez au contact de la Nature - non que dis-je !! Si tout le monde suivait ce conseil, si tout le monde était kantien, alors nous serions bien trop nombreux à regarder les couchers de soleil et cela perdrait tout son charme...), donc pas si rare, vous pourrez réciter votre poème. Cela viendra naturellement. Là vous verrez comment vous vous sentez. Si cela ne vous fait rien, et bien tant pis, au moins vous aurez essayé et ça, personne ne pourra vous le reprocher, bien au contraire. Autrement, si cela vous fait quelque chose, vous sentirez en vous-même pourquoi la Poésie est à l'Homme ce que les Vents sont à la Terre.


Pour vous donner envie, voici un teaser de l'incipit de Vents :

    C'étaient de très grands vents, sur toutes faces de ce monde,
    De très grands vents en liesse par le monde, qui n'avaient d'aire ni de gîte,
    Qui n'avaient garde ni mesure, et nous laissaient, hommes de paille,
    En l'an de paille sur leur erre... Ah ! oui, de très grands vents sur toutes faces de vivants !
Tag(s) : #Poésie
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