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Editeur : 10/18

Publication : Février 2000

Pages : 380

 

Un des livres les plus appréciés de la blogosphère

Mais pas seulement. Quelques semaines seulement après avoir visionné l'excellent film The Jane Austen Book Club, et après avoir déjà particulièrement apprécié à leurs sorties, Pride et prejudice de Joe Wright - ô combien décrié pourtant pour sa mièvrerie hollywoodienne - et Sense and sensibility du génial Ang Lee (qui, parenthèse non littéraire encore, mais bon... tient la corde, avec Jean-Pierre Jeunet, pour réaliser le film Life of Pi adapté du roman de Yann Martel), je me suis lancé dans le roman de Jane Austen, disons le plus connu : Orgueil et préjugés.

J'ai lu des articles volontiers laudatifs voire parfois dithyrambiques sur les vertus de la lecture d'un tel ouvrage et sur le talent de Jane Austen, sur les différents blogs de la blogosphère. Je ne partais donc pas dans l'inconnu et savais par avance que ma lecture d'Orgueil et préjugés s'orienterait vers la découverte des ingrédients qui rendent ce livre si indispensable dans la vie des blogueuses (héhé, je mets à mon tour de bon gré "blogueuses" au lieu de "blogueurs"...).

Mais une telle lecture peut rapidement être faussée par tout ce qu'on en a entendu avant, de ci, de là. J'ai résisté à tous les préjugés qui m'assaillaient à la lecture de l'ouvrage, et j'ai laissé mon orgueil de côté - vous savez, l'orgueil qui fait qu'on n'apprécie pas quelque chose juste parce que tout le monde l'apprécie et que pour la seule raison que les gens sont des moutons, on ne veut pas se joindre au troupeau. Néanmoins, le berger Jane Austen m'a montré le pré bien vert de son Hertfordshire, un comté dont je n'avais encore jamais eu vent, et j'ai brouté avec tous les autres lecteurs, l'herbe fraîche et drue de ce roman d'amour.

Un roman d'amour...

Non, ce n'est pas juste un roman d'amour, c'est bien plus que cela - c'est un peu ce que j'essayais de me dire parfois pendant la lecture ! Il n'en reste pas moins que l'amour est au coeur de cette histoire. L'injustice a touché la famille Bennet avec cette malencontreuse affaire qui a engendré cinq filles, adorables certes, sans un seul héritier mâle. Ne voilà-t-il pas le domaine des Bennet entrer sous le joug de l'entail, et destiné à être pris en possession par le lointain cousin Mr. Collins, qui est aussi obséquieux qu'un caniche nain et aussi agréable qu'un congélateur au Groenland. Quoi de plus frustrant alors de comprendre que le domaine familial pourrait à tout moment venir entre les mains de ce religieux. Si l'entail semble a priori injuste - mais les conditions d'héritages dans nos sociétés sont-elles plus justes ? -, il est prétexte à de nombreuses interrogations dans les familles :
- si nous héritons de tel domaine, pourrons-nous encore en assurer l'intendance avec nos revenus ? (un domaine sous le joug de l'entail ne semble pas pouvoir être vendu) ;
- si notre lointain cousin hérite de notre domaine, ne nous expulsera-t-il pas ?

Autant le dire tout suite, c'est l'entail qui définit la ligne de conduite des femmes de la famille Bennet. Se marier est une priorité, mais de là à faire n'importe quoi... Il est bien vu de se marier avec un beau jeune homme, propre sur lui, et qui possède une rente suffisante pour entretenir une fille dont la dot est somme toute négligeable. Une fille sans trousseau est condamnée à épouser le premier venu, sauf si son orgueil lui fait oublier sa condition et son maigre trousseau.

C'est tout ce qui fait le charme de Lizzy, l'aînée des Bennet, qui ne s'abaisse pas devant les plus riches et les plus méprisants, même si elle n'agit jamais de manière irréfléchie ou inconvenante. Elle n'est ni la plus belle, ni la plus talentueuse des pianistes/brodeuses/chanteuses. Mais elle lit des livres, elle est instruite et a la tête sur les épaules. Elle a du tact et certainement le charme nécessaire pour faire craquer un Darcy plutôt intriguant et troublant, mélange d'orgueil à l'état brut et de subtile fierté.

Est-ce que toutes les filles s'identifient à la petite Elizabeth Bennet, retrouvent leurs premiers amours ou la conception de ce qu'était leur découverte de l'Amour avec un grand A, je ne saurais le dire. Avec mon avis masculin, j'ai apprécié le jeu du chat et de la souris entre Darcy et Lizzy, cette parade amoureuse faite d'ambiguïté, de quiproquo et qui semble terriblement impossible d'un premier abord.

Du talent pour raconter...


Toute la finesse du livre ne se trouve pas seulement dans la construction de l'histoire. Le style de Jane Austen est particulièrement plaisant. Les personnages sont bien ficelés (Ah, Mr. Collins, combien d'émules avez-vous pu faire dans le monde !) et truculents (le rustre riche Darcy, le beau gosse Wickham, la vieille fille Lizzy, la poule-dinde Mrs Bennet, la résignée Charlotte, l'imbuvable Lady Catherine de Bourgh). Les dialogues sont un régal pour les papilles.

Par exemple, ce passage du chapitre 43 (p. 246) me paraît symptômatique du style et du talent de Jane Austen. C'est également un passage clé du roman :
« Nullement préparée à une telle requête, elle put à peine réprimer un sourire, car il demandait à être présenté aux personnes mêmes dont il considérait la parenté humiliante pour son orgueil quand il lui avait la déclaration de ses sentiments. »

Ironique et moqueuse, Lizzy constate, en jubilant carrément, le changement de comportement de Darcy à l'égard de ses proches et vis-à-vis d'elle, Darcy dont on comprend bien ici que l'amour qu'il porte à l'héroïne du roman ne connaît pas d'obstacle ; notre homme s'affranchit aussi bien son propre orgueil et ses propres préjugés que ceux de son entourage. Il est certainement le seul personnage de ce roman à passer outre la superficialité des comportements de la société pour se laisser guider par la profondeur de son coeur. Devant tant de froideur et d'honnêteté, il ne peut s'agit d'inconscience ou d'aveuglement dans le cas de Darcy ; tout ce qu'il entreprend semble réfléchi et témoigne d'une droiture d'esprit assez remarquable, même s'il doit finalement en payer les conséquences, car trop de franchise se heurte au système en place - c'est un cas auquel nous pouvons encore être confronté un jour ou l'autre, de nos jours, dans bien des situations souvent peu agréables : dire la vérité et en subir les conséquence, ou se taire, feindre, accepter sans sourciller.

Même Elizabeth ne possède pas ce recul envers la bienséance, contrairement à ce qu'on pourrait croire. Elle s'attarde toujours sur les seuls caractères et traits remarquables à son époque : « l'intelligence, le goût et la bonne éducation. » Justement, Lizzy, toute une éducation à refaire !
L'héroïne de Jane Austen avait pourtant subi l'affront de l'honnêteté de Darcy avec une virulence qu'elle n'avait pas souvent dû éprouver auparavant, quelques semaines auparavant en découvrant, atterrée, la lettre écrite à Rosings (chapitre 35, p. 196) :
« La parenté du côté de votre mère bien qu'elle fût pour moi un obstacle n'était rien en comparaison du faible sentiment des convenances trop souvent trahi par elle-même, par vos plus jeunes soeurs, parfois aussi par votre père. »

Désormais, la douleur (et non la « contrariété » évoquée par Darcy dans sa lettre) causée par ces mots, par cette attitude, traduisant indirectement l'infériorité sociale des uns par rapports aux autres, s'étiole devant le comportement courtois de Darcy. Ce dernier ne prouve qu'une seule chose : que son amour pour Lizzy surpasse les histoires de rang auxquelles son propre statut l'oblige de ne pas déroger. Rien ne montre en revanche qu'il a dépassé les questions de convenances sociales. Mais en s'attaquant à l'amour de Lizzy par le biais de sa famille, il fait preuve d'une grande habileté en matière amoureuse. Un peu à la manière de celui qui met une grande claque avant de caresser sa victime. Cette dernière lui mangera dans le creux de la main... Pourtant, au moment de la caresse, c'est la victime qui jubile, c'est elle qui pense avoir réussi un grand tour de main. Après tout, pourquoi pas...

Histoire d'amour sous fond de satire sociale

J'ai retrouvé le plaisir que j'avais de lire un Flaubert (postérieur à Austen), ou presque un Stendhal (contemporain). Beaucoup de plaisir à la lecture, sans être le joyau promis - en effet, je n'ai pas lu avec une passion dévorante mais une sympathique curiosité, ce qui fait toute la différence dans ma notation. Une lecture plaisante tout de même. J'ai bien envie de lire les autres romans de Jane Austen, à commencer par un petit Raison et sentiments, mais pas de tout suite ;-).
Tag(s) : #Littérature anglaise
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